Sabotage d’un convoi escorté par les gendarmes en Indochine
par Emile Pecqueur
Nous pouvons lire dans le Livre d’Or de la Gendarmerie des gendarmes morts en Indochine (page n°242) le nom du gendarme Bonnet Georges, tué le 14 juin 1947, lors du sabotage d’un convoi ferré transportant des vivres pour la Légion Etrangère.
Le 14 juin 1947, le Gendarme Joseph Laizet faisait partie d’un convoi de trois trains avec des partisans cambodgiens en queue de train. Ce convoi transportait des vivres et des munitions. Son collègue et camarade, le Gendarme Georges Bonnet se trouvait avec ses hommes en tête de train.
Ce convoi partait à Muong-Man et Tour Cham pour ravitailler en vivres et munitions un poste tenu par la Légion Etrangère. Vers 8 heures 30, ce 14 juin, le convoi est arrêté à la gare de Bien Hoa à environ 50 kms de Saigon.
Moi, votre serviteur (E Pecqueur), engagé volontaire avais rejoint la base militaire de Bien Hoa en temps que militaire du rang le 15 janvier 1946, base à laquelle j’ai été rattaché jusqu’au 7 avril 1948 fin de mon contrat d’engagement. Je n’ai pas vécu ce terrible événement qui va suivre, étant affecté à d’autres missions opérationnelles.
Profitant de cet arrêt, le Gendarme Laizet rejoint son camarade Georges pour l’inviter à prendre un « café » et manger quelques bananes.
Assis sur des caisses de munitions entouré de ses hommes, Laizet voyait que son camarade avait le moral très bas contrairement à son habitude. C’était son anniversaire de mariage et il pensait fort à son épouse…. C’est donc seul que je suis parti prendre « un café ».
A l’issue, le Gendarme Laizet retournait voir son camarade et fut très surpris de sa demande : permuter de wagon alors qu’il était le responsable du convoi. Hésitant et ne comprenant pas sa demande contraire « au plan », Laizet accepta sa requête, ce qui lui sauva la vie.
A l’arrêt prévu à Huan-Luc, nous attendions que les autres convois arrivent, mais un Lieutenant de l’Artillerie Marocaine avertissait Laizet d’un accident du dernier convoi dont son camarade Georges faisait partie.
C’est à ce moment que nous avons appris le triste destin de Georges qui avait perdu la vie, un triste jour pour son anniversaire de mariage. Malgré cette terrible nouvelle, nous devions continuer notre mission jusqu’au lieu de destination où nous attendaient des soldats isolés.
Nous n’avons jamais revu Georges Bonnet qui fut enterré à Bien-Hoa au côté de ses hommes. Georges avait changé sa place et avait donc sauvé la vie de Laizet. Sur sa tombe est restée sa photo.
A la suite de ce sabotage, une enquête a été diligentée. Mais pour Laizet, ceci reste un sabotage et un acte de guerre car, à cette époque, les cheminots vietnamiens employaient toutes sortes de ruses pour arriver à leurs fins. Les wagons de vivres et de munitions étaient très souvent victimes de sabotages, surtout en fin de convoi.
Les maillons, de grosses chaînes qui reliaient les wagons entre eux, étaient sciés. Dans une forte pente, le cheminot provoquait volontairement un choc, détachait le convoi de la locomotive et les wagons finissaient dans les ravins en prenant de la vitesse.
Cet acte n’épargnait aucune vie. Ce fut le cas de notre camarade Bonnet.
Georges était un excellent gendarme et camarade. Comme tous les autres, il savait que ces missions ferroviaires étaient très dangereuses et qu’en cas de sabotage ou d’attaque, nous n’avions que très peu de chance de nous en sortir.
Notre armement était désuet, nos munitions sabotées, nos hommes pas suffisamment entraînés faute de temps. Que pouvions-nous espérer ? Notre ravitaillement en nourriture était inexistant (quelques sardines, corned beef vulgairement appelé « du singe », dont les boîtes étaient la plupart du temps gonflées par la chaleur) alors que les légionnaires et les tirailleurs percevaient des rations de l’armée américaine.
En ce qui concerne la boisson, mieux vaut ne pas en parler, c’était de l’eau que nous trouvions en cours de route qui nous provoquait des douleurs intestinales. Certains de mes camarades en sont morts faute d’être soignés à temps.
Monsieur Laizet souligne que Bonnet était en plein désarroi et qu’il n’avait pas le moral. Nous n’avions aucune radio, donc aucun secours en cas d’attaque.
Sur le Livre d’Or, dans les libellés, on s’aperçoit que de nombreux gendarmes ont été tués avant d’avoir eu le temps de riposter, particulièrement dans les embuscades ou en escortes dans les convois routiers ou ferroviaires.
Ce n’était pas un accident mais un sabotage exercé par l’ennemi dans le but de tuer des hommes et de détruire le convoi.
C’était un acte de guerre.
Propos de M Laizet
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