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Pas si brêle que ça !!!


par Emile Pecqueur

 

 

Le témoignage que je vais reproduire est celui d’un ancien combattant qui a connu les  brêles « mulets » de l’artillerie de montagne alors qu’il servait dans le secteur de Batna.

Son attachement pour les mulets m’amène, moi qui ai servi des années dans les  oasis, avec le voisinage des ymels « chameaux »,  reconnais et participe à l’hommage fait à ces brêles comme pour rendre le mien à ces chameaux d’Ouled-Djellal et El Oued. Au moment où l’âge nous rattrape et devient réalité, on s’accroche un peu plus à ces souvenirs, ce qui est exact !! Il en est qui méritent d’être conservés et même d’être transmis au nom du devoir de mémoire.

 

De cette époque 1942-1943, beaucoup de mes compagnons ont largement dépassé les 80 ans et encore combien en reste - t’il ?

La campagne de Tunisie a souvent été décrite sur les hommes, les combats, les conditions difficiles et le déroulement de cette guerre du renouveau de l’armée française qui sera par la suite équipée par nos alliés pour la libération totale de la France et surtout la fin du nazisme. Un seul objectif pour les jeunes dès le début de l’année 1941, rejoindre les Français libres où qu’ils soient. (L’auteur de cet hommage ajoute : ce fut mon cas, j’avais dix-sept ans et demi).

 

Des jeunes, bien vite, un peu perdus, en manque de moyens pour aller plus loin encore et qui finalement, se retrouvaient en Afrique du Nord, unique solution pour intégrer les troupes d’armistice. Passablement désemparés pour quelques uns dont j’étais, ce fut un atterrissage forcé dans la « Royale Brêle Force », titre donné par les Alliés en Tunisie, avec l’espoir, malgré le retard, de réaliser notre idéal.

 

Je fus affecté au 3/67ème d’Artillerie de montagne stationné à Batna (Algérie). Les effectifs grossissent vite, tant et si bien qu’il fallait camoufler de plus en plus de soldats lors des visites des commissions d’armistice italo-allemandes. Pour beaucoup, les Aurès serviraient tout à la fois de refuge et d’espace d’entraînement.

 

Que dire de l’hiver ? Je n’avais jamais vu autant de neige dans ma Charente natale clémente.

Notre groupe d’artillerie était équipé de deux batteries de quatre canons chacun de calibre 65 en 7 et 8. Et notre batterie, la 9ème, de canons de 75 de montagne marque Schneider qui, bien réglés firent des ravages chez l’ennemi, surpris d’autant de déchaînement d’obus en provenance de secteurs en priorité inaccessibles à l’artillerie. Mais, voilà, c’était précisément le rôle  de l’artillerie de montagne que de viser ces reliefs inhospitaliers. Qu’aurions-nous fait cependant, sans notre armada de mulets, auxiliaires indispensables pour transporter le matériel.

 

Nous étions prévenus : « Méfie-toi toujours d’une femme par devant et d’un mulet par derrière » nous avaient dit les anciens. En fait de ruades, elles furent assez rares tandis que les pauvres bêtes étaient chargées comme des baudets. A dos de mulets, les canons démontables en sept pièces et dont la plus lourde pesait 117 kg. A dos de mulets encore, le stock de munitions, l’équipement nécessaire pour assurer la subsistance de la batterie, les blessés, les malades brinquebalant dans les sièges doubles placés de chaque côté du bât d’un mulet.

Il y avait bien des chevaux de selle pour les officiers et les sous-officiers mais ils servaient uniquement pour les missions. Les déplacements se faisaient à pied, le capitaine en tête.

 

Le 18 décembre 1942, nous sommes mis en état d’alerte, loin de la caserne. Motif : débarquement des anglo-américains en Afrique du Nord !! Enfin ! Nos supérieurs nous rassurent en même temps qu’ils nous donnent l’ordre de préparation de lever le camp vers un autre front. Tout le monde est prêt, jusqu’aux brêles qui sont préparées comme pour la parade, bichonnées par leurs conducteurs arabes qui rivalisent de présentation. C’est vrai qu’ils aiment bien les animaux. Moins de quarante huit heures plus tard, nous voilà dans le train en direction de Gardhimas à la frontière tunisienne. Nous poursuivrons à pied, nous enfonçant en Tunisie en évitant les mauvaises rencontres jusqu’aux environs du Pont du Fahs. C’est la guerre, les Italo- Allemands débarquent en force dans les ports tunisiens et se concentrent aussitôt en un front face à l’Algérie. Nous ne tarderons pas à stopper assez régulièrement les offensives ennemies.

 

C’est ainsi que nous perdrons l’un de nos quatre canons, sans trop de conséquences toutefois car nous déplaçant souvent et qui plus est en montagne, nous sommes moins repérables. Enfin, jusqu’au moment où l’Afrika Corps entre dans la danse, venant de Lybie par le sud tunisien, nous bousculant sur son passage et nous obligeant à nous terrer sur les hauteurs pendant le reste de l’hiver, l’ennemi progressant jusqu’à la frontière algérienne de Tébessa. De nombreux tirailleurs ont dû leur survie aux mulets pour assurer leur ravitaillement, seul moyen de transport sûr et discret. Comme nous, les pauvres bêtes souffraient non seulement de fatigue mais aussi et surtout du manque de nourriture et d’eau. Combien de plaies à vif, profondes et grouillantes, ai-je pu voir ! Soignées, bien sûr mais avec les moyens du bord.

 

Je me souviens d’un soir dans la plaine d’Ousseltia, où après qu’une colonne ennemie se soit éloignée, nous avons traversé la route pour rejoindre le flanc de la montagne. Réfugiés que nous étions sur les hauteurs dominant cette vaste plaine, batterie installée et camouflée, les mulets parqués sous les arbres s’en sont donnés à cœur joie sur les bouquets d’alfa. Nous sommes restés là un bon moment à l’affût des véhicules ennemis qui circulaient surtout la nuit. De jour, il y eut bien quelques motards, mais notre Capitaine les descendait magistralement.

Sans doute, nos adversaires savaient- ils qu’il y avait de la troupe dans la montagne, sans en connaître l’importance, mais ils avaient fort à faire ailleurs. L’occasion pour nous de faire le point. Si nous avons parfois douté non de nos chefs directs mais des ordres qu’ils pouvaient recevoir, nous étions maintenant pleinement rassurés et gonflés à bloc. Nous étions devenus des Français libres, comme ceux que nous cherchions à rejoindre ! Objectif atteint…

 

Même nos brêles semblaient ragaillardies. On voulait croire qu’elles partageaient notre enthousiasme d’être en opération pour de vrai. Les tracts pouvaient bien pleuvoir des avions allemands, autant de laissez- passer de la dernière chance à prendre comme des promesses de mort.

 

Avec le printemps, canons et mitrailleuses se firent plus menaçants. Nous sentions que le front se rapprochait. Fin prêt pour arroser le passage (en retour) de l’Afrika Corps, fort avancé vers l’Algérie, nous avons donc quitté notre retraite pour entrer dans la bagarre. Dur… dur…

La faim et la honte au ventre, il nous est arrivé plus d’une fois de tailler un morceau de viande dans le postérieur encore fumant d’un de nos mulets tombé sous la mitraille. Non…, ce n’était pas bien !!! Mais nous le mangions grillé à la va- vite. Nous avions souvent pensé que nous n’avions aucune pièce d’identité sur nous, pas de plaque, pas de bracelet, pas de collier. Sans doute chacun de nous avait-il dans son porte- feuille quelques papiers portant son nom, mais que peut bien donner un porte- feuille sur un cadavre plus ou moins enterré en hâte. Tout juste la mention « inconnu » portée sur une tombe d’un cimetière national. Plusieurs conducteurs de bêtes durent être évacués vers une infirmerie à l’arrière, tous atteints d’une forte « blenno » à la grande surprise du toubib puisque nous n’avions côtoyé aucune population civile depuis bien longtemps. L’attention se porta alors sur la mascotte de notre Unité, une petite ânesse bien gentille et familière qui caracolait régulièrement en tête de la colonne… et qu’il a fallu abattre…

 

De positions en positions, de combats en combats, de succès en succès, nos canons de 75 firent du bon travail chez l’ennemi de plus en plus cerné. Joli mois de mai, impressionnante reddition des Italo- Allemands devant Zaghouan. Et puis cet imposant et émouvant défilé de la Victoire à Tunis aussi, auquel j’ai eu l’avantage de participer au lendemain de mes vingt ans. Mais nous n’en sommes pas encore là.

 

Retour au camp pour apprendre notre départ vers Batna à pied pour rejoindre la gare la plus proche. Nous rêvons tous d’une bonne douche, une de ces longues douches qui nous délivrera de notre vermine et de ces gros poux que nous portons et supportons par habitude. Nous rêvons tous aussi d’un lit, pas forcément confortable, mais un lit. Et puis, manger correctement et avaler une bonne rasade de vin. Ah ! Le vin… Le centre ville n’est pas loin… sans doute notre impatience est- elle communicative ! Car nous observons chez nos brêles une certaine nervosité. Sûr qu’elles aussi, rêvaient d’une bonne litière, de rations régulières et de repos. Depuis le temps !

 

Me voilà privé de défilé ; mais d’ailleurs comment aurais- je pu ? Les derniers lambeaux des semelles de mes souliers allemands récupérés, n’auraient pas supporté cette épreuve fusse t’elle d’honneur. Combien avais- je bien fait de ramener ce vélo pliant de parachutiste allemand qui m’avait permis au moins d’arriver jusque là. Pédaler dans la colonne n’avait guère été apprécié de mes supérieurs. Paraît- il que je ne montrais pas l’exemple ! C’est donc par les petites rues que j’ai gagné la caserne entendant les ovations de la foule fêtant le retour de notre Unité. Il nous faudra un bon moment pour réaliser : nous allons retrouver la vie de caserne ; l’adjudant de batterie va reprendre ses vieilles habitudes ; « le village nègre » tout proche va retrouver sa clientèle et les « nanas » ne vont pas chômer.

Pour l’instant, un bon repas nous attend mais notre estomac ne réagit guère… Plus l’habitude. Tout cela va vite nous peser, impatients que nous sommes de poursuivre la lutte. Nous savons déjà que notre unité va rester au repos à Batna.

 

Quelques uns dont je faisais partie répondaient à toutes les demandes de volontariat par ailleurs. Beaucoup resteront sans suite. Une fois, par exemple, c’était pour un encadrement du maquis en Dordogne où l’on était parachuté. J’avais déclaré bien sûr connaître la région si près de la Charente. Une autre fois, c’était pour les commandos avec des copains. J’ai été recalé, trop jeune. Eux… sont partis, disparus dans l’île d’Elbe. C’est tout simplement le 67ème du même régiment que je rejoindrai en renfort.

 

Etre transporté à l’abri, en avoir terminé avec les marches, disposer d’un paquetage digne de ce nom, un bel équipement, un uniforme plaisant.

Et puis, à bas le matériel de transmissions vétuste. Et pourtant, jamais nous ne pourrons oublier nos brêles braves et fidèles, bêtes qui ont tant partagé avec nous, nos humeurs bonnes ou mauvaises, nos joies, nos peines, nos souffrances, nos espoirs.

Dans l’impatience de quitter Batna, nous ne sommes même pas allés les voir. Avant de partir, je ne suis même pas allé voir mon petit cheval anglo-arabe, si doux et intelligent.

Les animaux pardonnent. Nous, nous ne sommes que des humains.

Merci

 

Récit de Guy Jeanneteau de Jarnac- Segonzac.

 

« Je suis heureux et fier d’avoir reproduit son hommage pour les brêles... ce qui m’a rappelé en presque tous points ma vie là-bas avec mes ymels ».

Entre nous !!

Un brêle, c’est quoi ? En langue arabe, au Maroc, Brêle s’écrit Bghrel, la femelle Bghrelaa

Cheval : aaoud femelle aaouda

Bœuf : begri

Chameau : ymel, en touareg : gomzoro ou alam

 

Qu’est-ce donc qu’une brêle, dans le langage militaire ?

Le synonyme de brêle pourrait se traduire par : c’est celui qui n’a pas de diplôme ; c’est celui qui ne sait pas marcher au pas, ne sait pas tirer. Confond culasse et biroute, lâche la cuillère d’une grenade et demande naïvement à son capitaine ce qu’il doit en faire, s’endort lorsqu’il est de garde, tire sur son adjudant au lieu de tirer sur l’ennemi, croit qu’en picolant, il verra des petites femmes blondes dans les vapeurs de l’alcool, confond sa droite avec sa gauche, salue le colonel en soulevant son calot et lui donnant du « Bonjour Monsieur ».

Bref, un bon à rien, un zigoto, un ostrogoth, un nul, un âne, une buse, un cornichon, une andouille, un ballot, un vrai trou du cul ! Enfin, quoi, une brêle !!!

« Extrait de mes premiers jours de prison »

 

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