Confidences
par Emile Pecqueur
« Confidences » : est-ce bien le sens littéral ?
Je n’aime pas le langage de la décadence. Quand on vit dans un pays, il faut l’aimer ou sinon le quitter. Projeté dans l’histoire à l’âge de dix-neuf ans, je fus soumis aux lois du hasard et de la guerre. Plus de cinquante ans après, je n’ai pas fini de comprendre tout ce que j’ai vécu.
La démesure du désert nous restitue notre propre dimension, c'est-à-dire presque rien. La guerre, elle, peut rendre fou et d’autant plus fou qu’il n’y a pas de garde-fou. Le désert par sa démesure et sa violence, reste en moi comme la métaphore de la condition humaine.
Simples mortels avançant inlassablement vers leur fin, nous sommes à peine des insectes dans cet océan de sable. Le désert nous renvoie à une autre nécessité ; habiter d’une présence la désolation de l’existence, entrer en relation avec tout ce qui est grand dans l’homme, guetter l’aube sous le globe étoilé de la nuit. Dans le désert, tout est tranchant, aigu, limpide. C’est un monde sans objets et sans plaisirs, où l’homme est rendu à lui-même.
Les chaussures se craquellent, la peau se tanne, les lèvres deviennent comme une écorce. Le désert, encore lui, érode ce qu’il touche. Tout se disloque. Et pourtant….. , la voix intérieure fait entendre son doux murmure. J’entendais battre mon cœur, vide et solitaire.
Le silence du désert ne ressemble à aucun autre. C’est une présence frémissante de vent et de chaleur et pourtant calme, vide et sèche. Le miracle de la vie ne m’est jamais apparu si nettement.
Dans ce paysage ravagé et lisse, quelques touffes d’acacia, un arbuste, une trace de chameau, deux pierres déplacées sur une piste, restent les images de Dieu les plus pures que j’ai rencontrées.
C’est en particulier à Ouled-Djellal et El Oued que j’ai compris ce qu’avait été l’empire du désert sur mes camarades des unités sahariennes et moi-même, un sac de riz, une gourde d’eau – guerba, un peu de lait de chamelle, marchant parfois des jours et des jours presqu’en somnolant sous la chaleur, recroquevillés la nuit sur une peau de mouton, la tête entre les pattes d’un chameau allongé à côté d’un buisson d’asphodèles (asphodèle) bulbe présenté par le dictionnaire Larousse.
Je contemplais sans me lasser les nomades qui quittaient l’oasis vers l’étendue du grand sud.
L’aventure et la parole ne sont pas des feuilles volantes. Les mots nous engagent autant que les écrits. Tout citoyen est obligé de mourir pour sa patrie… personne n’est obligé de mentir pour elle…
Au cours de mes séjours, j’ai compris la vanité de bien des choses et l’hypocrisie de bien des hommes. Dans la vie, il faut parfois s’étouffer et surtout s’adapter. Pour réussir, il faut s’adapter.
Tout homme avancé dans son âge, sait que le temps ne s’écoule pas de manière uniforme. Certaines périodes disparaissent d’un bloc dans l’oubli. Elles ne laissent pas plus d’empreintes dans la mémoire que nos pas dans le désert. A l’inverse, d’autres séquences de la vie, parfois remarquablement brèves, prennent une place écrasante au soir de l’existence.
Ma mémoire est une page blanche où quelques caractères seulement, comme des clous enfoncés dans le bois, disent mes sentiments. J’aime bien écrire et raconter, inlassablement non pour juger, mais pour expliquer. J’aime rencontrer mon prochain, appréhender ce qu’il pense, ami ou adversaire. Je pense aussi que la parole est un don qu’on offre à autrui.
Je tiens le courage en haute estime, car il me semble contenir toutes les autres vertus. Je suis sans illusions mais pas sans espérance. Pour moi, un homme ne change pas, il se complique. Après plus de vingt ans de vie de gendarme d’Outre-mer, quand on a vu et vécu tant de choses, il était impossible de l’oublier et c’est sur ce dernier point que j’en suis encore.
Mon destin est accompli.
Rien de ce qui reste à écrire ne changera le sens de ma vie ; quelques virgules vont simplement s’ajouter en bas de la page.
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